Le poste à pourvoir : une expérience de pensée
Je vous propose d’examiner ces deux situations, dans le but de tester vos intuitions quant à certaines questions de genre dans la langue.
Première situation
Vous dirigez une entreprise et vous avez un poste à combler. Vous recevez un texto de votre réceptionniste : « Les trois candidats sont dans la salle d'attente. »
Vous vous rendez dans la salle d'attente et vous apercevez trois femmes, donc trois candidates.
Sans réfléchir, diriez-vous que l’information contenue dans le texto était correcte à 100%?
a) Oui. Il y avait trois candidats, qui étaient des candidates. b) Non. Il n'y avait pas trois candidats, mais bien trois candidates. c) Autre chose (veuillez préciser).
Deuxième situation
Supposons que le texto était un peu différent : « Les trois candidat·es sont dans la salle d'attente. ». La situation est la même; vous apercevez trois femmes, donc trois candidates.
Sans réfléchir, diriez-vous que l’information contenue dans le texto était correcte à 100%?
a) Oui. Il y avait trois candidat·es, qui étaient des candidates. b) Non. Il n'y avait pas trois candidat·es, mais bien trois candidates. c) Autre chose (veuillez préciser).
Le but de cet exercice est d’examiner nos intuitions par rapport au masculin générique et aux doublets abrégés. Sentez-vous bien à l’aise de me l’emprunter ou de le remixer à vos fins.
Je ne serais pas surprise si les réponses variaient d’une communauté francophone à une autre.
Le Grand dictionnaire terminologique (GDT) définit le masculin générique ainsi : « Genre grammatical masculin utilisé pour désigner des personnes, peu importe leur genre. » (2025). Mon hypothèse, c’est que la valeur générique du masculin s'amenuise (par chez nous, à tout le moins).
Dans la première situation, si je tiens pour acquis que la ou le réceptionniste savait qu’il s'agissait de trois femmes, je ne vois pas pourquoi idem emploierait le masculin. Cela exigerait d'avoir le souci de désigner les personnes sans égard à leur genre – ce qui est raisonnable en contexte professionnel –, tout en jugeant que le masculin générique convient à cette tâche. L’amalgame des deux me semble incongru, à tout le moins dans ma communauté, ici et maintenant. Une personne ayant une telle préoccupation ne se servirait pas du masculin générique.
L'interprétation raisonnable du texto, selon moi, c’est qu’il y avait au moins un homme parmi les candidatures, et que le masculin prime selon les règles traditionnelles d’accord. Donc, ma réponse serait b; le texto induisait en erreur, et j'aurais été surprise de voir trois femmes dans la salle d’attente.
Dans la deuxième situation, ma réaction aurait été différente. Peut-être que la ou le réceptionniste utilise l’inclusive pour l’ensemble du processus d’embauche. Par exemple, idem a peut-être écrit « candidat·e » dans l’offre d’emploi; logique, donc, de reprendre le mot tel quel.
Les doublets abrégés sont des coexistences de formes (Grevisse et Goosse, 2016), c’est-à-dire qu’ils superposent le féminin et le masculin, qu’ils communiquent les deux à la fois.
Ici, on pourrait s'attendre à ce qu’idem attribue un genre aux personnes dans la salle d’attente si le groupe n’est pas mixte (« candidats » pour trois hommes; « candidates » pour trois femmes). Cependant, je n’aurais pas été surprise de réaliser que les trois « candidat·es » étaient des femmes. C’était peut-être imprécis, mais ce n’était pas incorrect.
Revenons à la définition du GDT. Le masculin générique vise à désigner des personnes « peu importe leur genre ». Mon intuition, c’est que les doublets abrégés accomplissent réellement ce à quoi – ici, maintenant, dans ma communauté – le masculin générique échoue.